Première œuvre de Sergio Leone, œuvre de la maturation, qui aura permis de mesurer tous les progrès de son metteur en scène, au fil des trois films, fait proprement rare au cinéma, la trilogie du dollar est également un jalon exceptionnel dans l'histoire du western.
Arrivé en pleine période dite du western spaghetti, cette trilogie contribua à rétablir l'image du western tout en la reformant selon ses principes.
Loin de l'amateurisme né de l'ignorance des premiers faiseurs de western italien, elle permettra à son metteur en scène de devenir l'une des plus grandes légendes du cinéma moderne.
Leone imposera sa patte à un genre presque mort-né. Il assume ses influences et n'hésite pas à invoquer les grands maitres de l'âge d'or, tout en créant son propre langage cinématographique.
Pour une poignée de dollar (1964) **
Pour une poignée de dollars est le premier film de cette trilogie. Œuvre incomplète, manquant cruellement de maitrise, on pourrait dire qu'il s'agit d'un film raté si notre respect du maitre ne nous l'interdisait pas, et surtout grâce à la présence des deux premiers grands acteurs de Leone, Clint Eastwood et Gian Maria Volonte. Même la bande sonore de son compère Enio Morricone n'en est encore qu'à ses balbutiements, approche d'un nouveau genre cinématographique oblige.
On remarque tout de même qu'en dépit de son caractère inachevé, tout le langage de Leone à la mise en scène est là. Grand angle, zoom arrière, plans séquences étirés en longueurs, longs silences, gros plans...
Mais le principal élément du cinéma de Sergio Leone, son rythme lent, est ici sabordé par un montage trop rapidement haché, qui nous empêche de nous immerger pleinement dans l'histoire au delà de quelques séquences. La maitrise des gunfights n'est pas encore du coté de Leone. Mais si la maitrise n'est pas encore là, les éléments du style le sont bel et bien.
D'autant plus que le thème récurent de la trilogie, reprenant la vague de réalisme frappant le cinéma à cette époque est déjà là. Ici, pas d'indiens, de chevauchées héroïques à la John Ford. Simplement des américains qui se battent contre des américains. Ici deux bandes rivales opposés pour la prise de contrôle de la ville. La violence se trouve au sein même des camps déjà établis, puisque la corruption frappe les deux bandes. Il n'y a pas de héros, simplement des catalyseurs qui attirent et resolvent les problèmes. Ils sont eux même des membres du système et n'agissent pas pour perdre le système, mais de façon cyclique, simplement attirés par l'argent.
L'homme sans nom est le catalyseur idéal de cette violence, puisque son arrivé provoque la résurgence de la violence, qu'il finira par attiser de par son seul rayonnement. Clint Eastwood, qui joue ce rôle est autant mythifié par la caméra de Leone qu'il n'est réduit à un simple ressort dramatique, artificiel. Il est l'élément dramatique et esthétique le plus certain pour affirmer que Sergio Leone ne prend pas la voie du réalisme, qui frappe autant l'Amérique que son pays l'Italie, mais bien de la tragédie baroque.
Cette tragédie baroque amère est encore beaucoup trop soulignée, par une symbolique très lourde, comme l'utilisation de personnages féminins comme otages ou victimes sacrificielles.
Et pour quelques dollars de plus (1966) ***
Sergio Leone apportera son esthétique presque à bout pour nous offrir un premier classique.
Et pour quelques dollars de plus arrive 2 ans après son prédécesseur, et 2 ans avant le premier chef d’œuvre du maitre,
Le bon la brute et le truand.
S'il semble plus sur, Leone hésite cependant encore un peu entre les styles avec ce film. Alors que
Pour une poignée de dollars explorait les pentes de la tragédie baroque, jusqu'à l’exagération,
Et pour quelques dollars de plus renoue avec un cinéma de son époque plus réaliste. Il en résulte un curieux contrepoint entre des scènes sans fond musical (comme le tabassage en règle des deux tueurs à gage), d'une froideur presque réaliste, des scènes étranges, entre rêve et réalité, comme la séquence du jeu du chapeau, qui frappe par l'utilisation de toute la grammaire Leonienne, mais qui s'ancre dans le réel en oubliant les exubérances de Morricone un instant. Comme si la seule chose qui permettait au cinéma de Leone d'acquiérir ses lettres de noblesses en tant que tragédie baroque était la musique de Morricone. Heureusement, Morricone signe ici une bande originale culte, bien utilisée à de nombreuses reprises.
L'intrigue est également plus maitrisée que celle du premier film, mais la relative absence de climax et d'enjeux dramatiques majeurs crée un ennui chez le spectateur, le cadre de l'intrigue étant beaucoup trop resserré pour permettre des fulgurances lyriques, autrement que dans un duel final trop attendu.
Et pour quelques dollars de plus demeure tout de même un film qu'on prend vraiment plaisir à suivre de bout en bout, son style plus intriguant et moins grandguinolesque que celui du premier volet de la trilogie lui donnant une vraie singularité.
Le film aura en outre le mérite d'introduire le troisième grand acteur de la trilogie, Lee Van Cleef, parfait en tueur à gage, ainsi que d'offrir une sortie royale à Gian Maria Volonte, qui joue ici le méchant.
Le bon, la brute et le truand (1968) *****
Heureusement, 2 ans encore plus tard, Leone nous sortira enfin son premier chef d’œuvre, hallucinant sur tous les points,
Le bon la brute et le truand est aujourd'hui considéré comme un des plus grands classiques du cinéma contemporain. Il constitue l'apogée du western de Leone, le chef d’œuvre ultime de cette trilogie du dollar, la perfection stylistique après deux films coup d'essai qui se heurtèrent à tous les récifs de ce genre de cinéma.
Le style de Leone trouve enfin sa pleine expression. Fini les tâtonnements, tout est ici parfaitement cohérent. On connait les points qui font du style de Leone un cinéma à part. Ici, il enrichit encore son cinéma de singularité en nous proposant un vrai opéra baroque. La musique de Morricone crée une ambiance surréaliste, les phases non musicales sont bien mieux exploitées, et surtout, la musique s'adapte à toutes les situations et crée de la tension ou toutes sortes d'émotion comiques ou tragiques, loin du grandguignolesque exclusif des deux précédents volets. Toutes les perles visuelles de Leone se retrouve. On retrouve également une virtuosité dans l'exploitation des bruits extérieurs, comme cette séquence où l'armée marchant au pas cache à Clint Eastwood le bruit des assassins dans le couloir.
Le ton est beaucoup plus léger que dans les deux précédents essais, signes que le maitre a abandonné la pure tragédie du premier volet et l’âpreté du second essai. Les répliques cultes s'enchainent et l'exhubérance du troisième acteur Eli Walach (dans le rôle du truand) est là pour en faire un personnage ignoble et vil, mais terriblement attachant.
D'ailleurs elle est là toute la singularité de ce chef d’œuvre. Les personnages, qui prennent tous des figures de tragédie grecque, sont traités avec la profondeur psychologique que permet le cinéma.
On ne sait véritablement rien d'eux et on les découvre par leurs actes. Le héros solitaire, qui se fait le héraut de toute justice, ici le bon joué par Clint Eastwood, qui punit la brute Lee Van Cleef qui n'aura fait que se montrer ignoble durant le film. Le truand Eli Walach, en plus d'être le ressort comique principal joue le rôle de l'acolyte du bon. Il n'est pas réellement dangereux, juste un desesperado de plus, qui ne vaut pas bien cher. Il est ainsi terriblement attachant, dépassé qu'il est par les évènements, comme une sorte de témoin, echo au spectateur.
Pour la première fois, outre le personnage à la classe sombre et silencieuse, l'homme sans nom, on s'attache à un autre perrsonnage de cette aventure.
La brute, au contraire, ne suscite que le rejet de la part du spectateur. Il est le méchant idéal de l'aventure et se retrouve de facto puni par le bon à la fin.
La tragédie est bien là par le scénario, tant les climax s'accumulent. Le trio change tour à tour de dominant, les interactions entre les personnages varient. C'est simplement virtuose.
Et c'est le chef d’œuvre qui clôt en beauté cette trilogie exceptionnelle, jalon du western, qui aura apporté un style unique, une forme d'opéra surréaliste à ce genre mythique, loin, et en même temps si proche du romantisme de
La prisonnière du désert.